À partir de la parashat “Shlach”(Bamidbar 13) , au moment où toute la Génération qui eut le privilège d’être libérée du joux égyptien et d’assister au Don de la Torah au Sinaï, est condamnée à errer dans le Désert durant 40 ans et ne pourra pénétrer en Terre promise à nos Peres, nous assistons à un châtiment qui encourage une “mutation d’identité”. Ainsi, la ville de Jérusalem , lieu de l’édification du Beit HaMikdash qui aurait dû être l’aspiration première du peuple d’Israël laisse place à une dramatique incompréhension.
Nous le clamons dans nos prières,
“ותחזינה עינינו בשובך לציון”
“Que nos yeux contemplent ton retour à Sion”

Elles accompagnent notre désir ardent de retour sur Notre Terre.
Et pourtant, nous ne trouvons aucune mention de Jérusalem comme lieu du Beit HaMikdash dans toute la Torah !
Le Rambam, lui-même, dans son Guide des Égarés[1], s’interroge : pourquoi Jérusalem n’est-elle pas mentionnée dans la Torah, s’il est clair qu’elle est le lieu le plus élevé en Sainteté sur la Terre d’Israël ?
Jérusalem rattachée indubitablement à l’endroit de la Ligature de Ytshak par Avraham met en relief la valeur de Sainteté exceptionnelle de la Cite. Notre Patriarche après l’appel divin a identifié le Mont Moria comme l’endroit le plus approprié pour affermir le Lieu de Sa Résidence permanente. Pourquoi dans ce cas la Torah restera vague sur ce sujet:
אֶל הַמָּקוֹם אֲשֶׁר יִבְחַר ה’ אֱ-לֹהֵיכֶם
Le lieu que Ashem, Votre Dieu choisira (Devarim 12, 5)
Le Rambam proposera trois réponses afin d’expliciter la dissimulation du lieu du Beit HaMikdash par la Torah : la première, afin d’éviter que les nations du monde ne s’y installent ; la seconde, afin qu’elles ne détruisent pas ce lieu ; et la troisième, afin que les tribus d’Israël ne se disputent pas pour disposer de la Cite.
Ces arguments donnés par le Rav soulèvent d’autant plus de questions! Pourquoi ne trouvons-nous aucune spécificité concernant la Ville de Jérusalem durant les 440 années qui séparent l’entrée du Peuple d’Israël sur Sa Terre et la Construction du Beit HaMikdash? En outre, si Jérusalem était vouée à être “le Lieu de Sa Résidence“, pour quelle raison ne trouve-t-on aucune trace d’activité du Peuple d’Israël dans la Cite en prévision de ce qui sera établi quelques générations plus tard avec David et Salomon ?
Bien que les enseignements du Rambam soient sans aucun doute exacts, il apparait que ces trois réponses soient secondaires et non essentielles, sachant que la Torah a volontairement caché l’Endroit où sera bâti Sa Maison.
Pour affirmer que les mots du verset, “le lieu de Résidence choisi par Ashem” fasse référence à Jérusalem, il ne suffisait pas que la Ville soit qualifiée d’être “le lieu le plus élevé en Sainteté sur la Terre d’Israël”, mais cela devait être déterminé par Ashem Lui-même, comme “Lieu de Sa Résidence Choisie”. Selon ce postulat, la question de savoir pour quelle raison Jérusalem n’est pas mentionnée dans la Torah n’en n’est pas une ! Ce qui était en revanche essentiel fut de s’assurer que la Construction de Sa Maison serait au “bon endroit”, au “Lieu de Son choix”. Aussi, l’innovation d’un Beit HaMikdash comme Lieu fixe et éternel est une innovation de David et de Salomon dont les paroles resonnent avec la Volonté du Créateur.
Dans le Livre Samuel II, chapitre 7, après que David ait émis le souhait de bâtir une “Maison de Cèdre” à Jérusalem pour accueillir L’Arche d’Alliance d’Ashem qui réside “au milieu de la Tente”, la volonté exprimée par Ashem lui parvient par l’intermédiaire du prophète Nathan, avec cette question:
בכל אשר התהלכתי בכל בני ישראל הדבר דברתי את אחד שבטי ישראל אשר צויתי לרעות את עמי את ישראל לאמר למה לא בניתם לי בית ארזים
Partout où j’ai voyagé avec tous les enfants d’Israël, ai-je dit un mot à l’une des tribus d’Israël que j’avais chargées de paître mon peuple d’Israël, disant : Pourquoi ne m’avez-vous pas bâti une maison de cèdre?
L’appellation “Maison de Cèdre” face à l’expression “Résidant au milieu de la Tente” exprime la différence entre un lieu mobile qui change et un lieu fixe qui demeure pour l’éternité. Aussi Ashem, par l’intermédiaire du prophète Nathan, pose à David la question : jamais il n’a été demandé que l’on construise le Beit HaMikdash comme une “Maison de Cèdre“, c’est-à-dire que jamais auparavant il n’avait été déterminé qu’il y aurait un Beit HaMikdash fixe pour l’éternité en un seul lieu.

Le Roi Salomon exprime également cette volonté dans sa prière au moment de l’inauguration du Beit HaMikdash:
“מן היום אשר הוצאתי את עמי את ישראל ממצרים לא בחרתי בעיר מכל שבטי ישראל לבנות בית להיות שמי שם ואבחר בדוד להיות על עמי ישראל“
“Depuis le jour où j’ai fait sortir mon peuple d’Israël d’Égypte, je n’ai choisi aucune ville parmi toutes les tribus d’Israël pour y bâtir une maison afin que mon nom y demeure ; mais j’ai choisi David pour qu’il règne sur mon peuple d’Israël.”
En aucun cas le Roi Salomon ne laisse entendre que la Cite de Jérusalem aurait été cachée, en revanche, il n’y avait pas semble-t-il auparavant d’endroit réservé où serait construite une “maison”, où serait, pour l’éternité, fixée Sa Présence.
On saisit ainsi mieux l’étonnement du Roi exprimé dans sa prière :
הִנֵּה הַשָּׁמַיִם וּשְׁמֵי הַשָּׁמַיִם, לֹא יְכַלְכְּלוּךָ–אַף, כִּי-הַבַּיִת הַזֶּה אֲשֶׁר בָּנִיתִי
“Voici, les cieux et les cieux des cieux ne peuvent te contenir, encore moins cette Maison que j’ai bâtie !” (Rois 1, 8, 27)
Cet étonnement ne concerne point la Construction de l’Edifice mais plutôt le fait même de définir un lieu précis qui établirait pour toujours l’endroit de Sa Présence, ce qui n’avait jamais été défini au préalable.
Nous soulignerons qu’en réalité, “le lieu que l’Éternel choisira” n’a pas changé, mais il se révèle en fonction de la manière dont s’installe notre Peuple sur Sa Terre. Sachant qu’Ashem a mis en évidence qu’ une Maison Royale serait permanente parmi les membres de notre Peuple:
…אֶבְחַר בְּדָוִד לִהְיוֹת עַל עַמִּי יִשְׂרָאֵל.
“J’ai choisi David pour qu’il règne sur mon peuple d’Israël” (Rois 1, 8, 16)
et c’est par le biais de David, digne représentant du Peuple d’Israël, dont le cœur est clairement établi à Jérusalem, que par là-même pour l’éternité sera fixée Sa Demeure, qu’Ashem “aura choisi”.
De la même manière que la tribu de Yehuda, et plus spécifiquement la Maison de David portera en son sein le sceau de la Royauté pour toujours, établie à Jérusalem, de même , “le lieu que l’Éternel choisira” s’exprimera éternellement en provenance de notre Cite.

Les enseignements du Rav Meir de Dvinsk, (Meshech Cho’hma Exode 10, 21), nous montrent que toute la sainteté des lieux dits “sacrés” pour le Peuple d’Israël ne viendrait pas de la sainteté du lieu, mais du fait que notre Peuple y renouvelle en y foulant Son sol! :
“והנה יש להאריך שכל המקומות המקודשים אין יסודם מן הדת, רק מהאומה והשרשים…וזה דרוש עמוק, ואין כאן מקום להאריך”
“Il y aurait beaucoup à dire sur le fait que tous les lieux “sacrés” ne tirent pas leur fondement de la religion, mais de la nation et de ses racines… C’est un sujet profond et ce n’est pas le lieu d’en débattre longuement.”
L’idée sous-entendu dans cet enseignement laisse apparaitre que l’Histoire d’Israël est dynamique. En vérité plus l’opportunité de réaliser le projet divin dans le déroulement des épisodes historiques est grande, le risque de trébucher l’est d’autant plus.
Samuel, notamment, descendant de Korach, en clamant la parole prononcée jadis par aïeul : “toute l’assemblée, tous sont saints”, ne se satisfait pas de la requête du peuple d’avoir un roi a sa tête pour le guider et souhaite davantage renforcer la sainteté inhérente à la Nation d’Israël.
Pendant 440 ans, depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la construction du Beit HaMikdash, on a souvent l’impression que notre Peuple d’Israël s’est enfermé dans un cycle dont il n’a pas réussi à sortir, un cycle d’erreurs, de châtiments, d’appels au secours, de délivrances ponctuelles et de repentances. Ceci est inexacte car en réalité, un processus dynamique a révélé le sens de son Histoire. Chaque étape s’est avérée nécessaire pour la pleine construction de notre Nation même si celle-ci fut parfois douloureuse.
Ce n’est qu’après avoir acquis une certaine maturité que notre Nation a pu bâtir un lieu, Le Lieu Unique de Sa Résidence. Cela en effet impliquera moins de fluidité, sans doute moins de dynamisme et plus de stabilité. Mais cette stabilité permet aussi de façonner l’identité de la Nation avec plus d’envergure, chaque membre de notre Peuple peut des-lors développer ses facultés à part entière pour parfaire le projet divin. Aussi même durant des périodes troublées, cet enracinement profond et authentique permettra toujours à Israël de conserver fidèlement ses aspirations et de les mettre en pratique au moment opportun.

Nous saisissons les propos de Nathan envers David qui viennent renforcer l’idée que nous évoquions:
וכך אומר נתן לדוד שרוצה לבנות “בית ארזים” ושמתי מקום לעמי לישראל ונטעתיו ושכן תחתיו ולא ירגז עוד…ולמן היום אשר צויתי שופטים על עמי ישראל והניחותי לך מכל אויביך והגיד לך ה’ כי בית יעשה לך ה
Et ainsi dit Nathan à David qui veut construire une “Maison de Cèdre”
J’établirai un lieu pour mon peuple d’Israël, et je le planterai pour qu’il demeure chez lui, et qu’il ne soit plus agité… Et depuis le jour où j’ai établi des juges sur mon peuple d’Israël, je t’ai accordé du repos face à tous tes ennemis. L’Éternel t’annonce qu’il te fera une maison. (Samuel II, chapitre 7)
Il semble fondamental de se rappeler que même après la reconstruction du Beit HaMikdash, un élan vital dynamique se devra d’être ressenti et vécu.

C’est d’ailleurs ainsi que nous l’exprimons à travers le “Birkat HaMazone”:
“הרחמן הוא יחזיר לנו עבודת בית המקדש למקומה”
“Que Le Miséricordieux nous ramène le Service du Beit Hamikdash en son Lieu”
“En son lieu”, ceci implique que le “service” du Beit HaMikdash existe toujours, même en temps d’exil, mais qu’il n’est pas à sa place. Notre aspiration profonde est d’œuvrer afin de “retrouver à nouveau ce lieu fixe”, a l’Endroit même ou toutes les forces de la Nation hébraïque sont concentrées et d’où elles jaillissent! Souhaitons au plus tôt pour la Sanctification de Son Nom et le Bien de Notre Nation, “Que le Miséricordieux nous ramène le Service du Temple en son lieu“.
[1]partie III, chapitre 45
Leave a Reply