
“Pourquoi le juste souffre-t-il?”, cette question épineuse a longtemps été un sujet de discussion. Il est toujours pertinent d’examiner encore davantage ces interrogations qui ont tourmenté les générations précédentes et de les élever à une nouvelle compréhension.
Il existe déjà, cependant, une réponse ancienne s’appuyant sur une Mishnah tirée des Pirkei Avot (1, 3) :
אנטיגונוס איש סוכה קיבל משמעון הצדיק…אל תהיו כעבדים המשמשים את הרב ע”מ לקבל פרס אלא הוו כעבדים המשמשים את הרב שלא ע”מ לקבל פרס, ויהי מורא שמים עליכם”.
Antigonos de Sokho a reçu [la tradition] de Shimon le Juste… Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître pour recevoir une récompense, mais soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans chercher à recevoir une récompense, et que la crainte du Ciel soit sur vous.”
Cette mishna nous enseigne qu’il faut se détacher d’un monde où l’on accomplit des mitzvot pour une récompense et d’éviter de les transgresser “par peur du châtiment”.
Illustration a l’aide d’une parabole rapportee par le RambaM
Ainsi dans son Introduction au Perek ‘Helek, le Rav utilise l’image d’un enfant ignorant la valeur de l’étude pour elle-même et n’en fut convaincu qu’au moment où il reçut une “friandise”. Ce lien à l’étude se poursuit à l’âge adulte où la “friandise” prend le nom désormais de “recherche des honneurs”, “être reconnu” etc. Cette parabole du Rambam vient nous enseigner qu’en réalité, les actions bonnes sont intrinsèquement bonnes, indépendamment de récompenses ou de punitions extérieures.
Un exemple fictif pour illustrer cette idée est l’histoire d’un homme qui, à cause d’une action qu’il aurait pu commettre, une voix céleste se fit entendre pour lui annoncer la perte de son monde à venir. Cet homme demeura seul pendant un certain temps jusqu’au moment où il arriva à la conclusion qu’en realite, c’était mieux ainsi! Si jusqu’à présent il avait accompli les mitzvot et les bonnes actions pour la “récompense et la punition”, il pouvait désormais les faire pour le bien intrinsèque de faire le bien. Ce détachement de la “récompense et de la punition” l’a conduit à une réalité supérieure, une réalité idéale de faire de bonnes actions parce qu’elles sont bonnes, comme mentionné dans la Guemara (Avoda Zara 19a)
במצוותיו חפץ מאוד ולא בשכר מצוותיו
“Il se plaît beaucoup à Ses commandements, et non à la récompense de Ses commandements”
Par conséquent, si l’on veut tout de même parler de récompense pour une mitzvah, ce ne serait que l’option de faire une autre mitzvah :
שכר מצווה- מצווה
“La récompense d’une mitzvah est une mitzvah”
Parler de récompense et de punition dans ce monde est considéré comme enfantin, car il nous faut mûrir pour comprendre que le bien est fait pour le bien lui-même.
La nouveauté de cette réponse est qu’il n’y a pas ici d’évasion de la confrontation et aucun effort pour peindre le mal comme le bien ou le juste comme le méchant. Il n’y a même pas d’effort pour dire que la véritable récompense sera reçue dans le monde à venir. Au contraire, il y a ici une séparation totale de l’action motivée par la récompense et la punition. En revanche, cette compréhension pourrait amener certains (comme l’on pense les Sadducéens et des Baïthusiens, élèves d’Antigonos) à la conclusion erronée qu’il n’y a pas de monde à venir.
Par conséquent, il est fondamental de saisir plus profondément, grâce au Rav A.I. Kook (Moussar Avicha ch.2) ce qu’implique réellement notre Mishna. Une image est à nouveau utilisée par le Rav concernant un homme qui a sauvé tout un pays et a reçu en récompense mille shekels. Selon cette parabole, et bien que théoriquement, il puisse y avoir une récompense et une punition pour les actions dans ce monde, il est, pratiquement impossible d’en connaitre les détails, car le bien est bon sans aucune connexion à la récompense qui pourrait lui être retribuée dans ce monde. Rien de ce qui pourrait être donné ou pris ne changera la justification de faire le bien.
En réalité, il semble qu’une partie de la perfection de l’idéal et du bien est que celui qui fait le bien reçoive une bonne récompense pour son action, mais dans ce monde, il n’y a rien qui puisse vraiment répondre aux critères de bonne ou mauvaise rétribution pour une bonne action, car le bien est bon sans lien avec la récompense ou la punition qui pourrait en découler. Par conséquent, ce n’est que dans un autre monde conceptuel, le monde à venir, que l’on peut parler de récompense ou de punition. Il est important de noter que même dans le monde à venir, la “récompense et la punition” ne fonctionnent pas comme des “récompenses et punitions”, mais comme un accomplissement de la réalité du bien. Lorsque le bien est fait, une partie essentielle du bien est que le bien engendre le bien. Ainsi, dans le monde à venir, où ces concepts existent, il y a une réalité de bien pour celui qui a fait le bien. À un niveau plus élevé, on peut dire qu’une partie de faire le bien dans ce monde est de créer une réalité où les justes ont du bien, et peut-être que c’est la profondeur de l’énoncé de la Gemara :
שכר מצוות בהאי עלמא ליכא
“Il n’y a pas de récompense pour les commandements dans ce monde”.
Le sens obvie de la reponse formulee dans le Livre de Job (1, 10) va d’ailleurs dans ce sens. Le satan affirme que Job est juste parce que :
מעשה ידיו ברכת ומקנהו פרץ בארץ
“Tu as béni le travail de ses mains, et son bétail s’est accru dans le pays”
Par conséquent, tous les malheurs qui s’abattent sur Job sont, selon les paroles du satan (Job 1, 11) :
אולם שלח נא ידך וגע בכל אשר אם לא על פניך יברכך
“Mais étends ta main et touche tout ce qu’il possède, et il te maudira en face”
L’épreuve vise donc à scruter si Job est un homme “intègre et droit, craignant Dieu et s’écartant du mal” à cause de la récompense et de la punition, ou s’il est simplement “un homme intègre et droit, craignant Dieu et s’écartant du mal” en vérité. Nous comprenons qu’en fait toutes les interrogations depeintes dans le Livre de notre protagoniste, avec sans aucun doute beaucoup de souffrance, permettent a Job d’evoluer tout au long d’un processus jusqu’a denouement final (Job 42,5):
לשמע אוזן שמעתיך ועתה עיני ראתך
“J’avais entendu parler de Toi, maintenant mes yeux T’ont vu“
Ainsi après avoir “vu Dieu” et non seulement “entendu parler de Lui” comme auparavant, il arrive à la conclusion que (Job 42,6) :
על כן אמאס וניחמתי על עפר ואפר
“C’est pourquoi je me condamne et je me repens sur la poussière et les cendres”
Désormais la dimension de la “récompense et du chatiment” n’est plus une motivation pertinente pour lui de prodiguer le Bien, car seul dans un monde supérieur defini par Dieu1 nous pourrions parler de concepts de récompense et de punition.
En d’autres termes, en Job était la capacité de s’élever au niveau de “homme intègre et droit, craignant Dieu et s’écartant du mal” non par la dépendance aux épreuves, et ce qui l’a aidé à s’élever à cet état, ce sont les épreuves et les questionnements qu’il a traversés.
En resumé, nous pouvons dire ceci :
Le bien est bon en soi sans lien avec la récompense et la punition qui en découleront. Cependant, une partie du bien est que celui qui fait le bien reçoive l’influence du bien, meme si dans notre realite actuelle, il n’est pas aisee de percevoir le Bien par excellence, car le bien est souvent juge comme tel en fonction de la récompense qu’on en recoit.
Par conséquent, la récompense et la punition sont des concepts uniquement reservés au monde “à venir”. Même là, ils ne fonctionnent pas comme récompense et punition, mais comme cause et effet, et comme une illustration de la réalité méritée pour ceux qui font le bien ou le mal. Selon cette compréhension, on peut dire qu’une partie du rôle de celui qui agit pour le Bien est de faire en sorte que les bons aient du bien – que le juste ait du bien comme le méchant ait du mal. Par conséquent, si l’on voit qu’il y a “un juste qui souffre” ou “un méchant qui prospère”, cela doit nous eveiller non a un questionnement mais à un role que nous nous devons d’endosser de propager avec encore plus de motivation et de vigueur le Bien en tant que tel…
décrit dans les chapitres 38 et suivants
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