Au moment où nous nous apprêtons à célébrer la fête de Hanouka, il apparaît utile de se remémorer les différentes raisons qui en expliquent le sens : la victoire miraculeuse de notre Peuple, le miracle de la fiole d’huile, la réinstauration de l’entité politique d’Israël, la purification de notre Temple ainsi que l’émotion suscitée lorsque nous évoquons l’annulation des terribles décrets formulés par les Grecs en vue de détruire les principes fondamentaux de notre identité juive. Mais pourquoi le nom retenu jusqu’à aujourd’hui pour conter cette page de notre Histoire est spécialement « Hanouka » ?
Cela vient sans aucun doute rappeler l’inauguration renouvelée de l’Autel (‘hanoukat Hamizbea’h). Il en demeure cependant que parmi les différentes raisons évoquées précédemment, celle-ci apparaît comme la moins importante de toutes. En effet l’usage de ce substantif, “Hanouka”, (“Inauguration”), n’implique ni miracle, ni victoire, ni même la volonté de souligner la construction du Temple, déjà en activité depuis des siècles, à l’époque des Hasmonéens. Nos contemporains peuvent d’ailleurs y exprimer leur regret du fait que, désormais, notre Temple est malheureusement en ruines, aussi serait-il envisageable que notre fête nous renvoie justement à l’espoir de Sa reconstruction.
En revanche, comment peut-on louer Dieu, pendant huit jours par le biais du Hallel, en nous référant à une réalité qui, hélas, n’existe plus ? Cette question amène, par ailleurs, nos Maitres à rejeter l’idée de fixer la récitation du Hallel, juste après l’épisode perse, car nous restâmes à cette époque, en dépit du miracle de Pourim, sous le joug d’Assuérus.
En outre, il est intéressant de rappeler ce psaume (Tehilim 30) qu’un grand nombre de communautés juives à l’habitude de lire durant la période de ‘Hanoukka, qui met en relief notre interrogation. A l’exception du premier verset,
מִזְמ֡וֹר שִׁיר־חֲנֻכַּ֖ת הַבַּ֣יִת לְדָוִֽד,
« louange sur l’Inauguration du Temple à David » (ibid. 30, 1),
il apparaît que la suite du psaume traite de l’espoir d’être sauvé et de la confiance dans la rédemption future. (ibid 30, 2-13)
אֲרוֹמִמְךָ֣ ה’ כִּ֣י דִלִּיתָ֑נִי וְלֹא־ שִׂמַּ֖חְתָּ אֹיְבַ֣י לִֽי: ה’ אֱ-לֹהָ֑י שִׁוַּ֥עְתִּי אֵ֝לֶ֗יךָ וַתִּרְפָּאֵֽנִי:… חִ֝יִּיתַ֗נִי מִיָּֽרְדִי־בֽוֹר: זַמְּר֣וּ לַה’ חֲסִידָ֑יו הוֹד֗וּ לְזֵ֣כֶר קָדְשֽׁוֹ: כִּ֤י רֶ֨גַע בְּאַפּוֹ֘ חַיִּ֪ים בִּרְצ֫וֹנ֥וֹ בָּ֭עֶרֶב יָלִ֥ין בֶּ֗כִי וְלַבֹּ֥קֶר רִנָּֽה: וַ֭אֲנִי אָמַ֣רְתִּי בְשַׁלְוִ֑י בַּל־אֶמּ֥וֹט לְעוֹלָֽם:… שְׁמַע־ה’ וְחָנֵּ֑נִי ה’ הֱֽיֵה־ עֹזֵ֥ר לִֽי: הָפַ֣כְתָּ מִסְפְּדִי֘ לְמָח֪וֹל לִ֥י פִּתַּ֥חְתָּ שַׂקִּ֑י וַֽתְּאַזְּרֵ֥נִי שִׂמְחָֽה: לְמַ֤עַן יְזַמֶּרְךָ֣ כָ֭בוֹדוְ לֹ֣א יִדֹּ֑ם ה’ אֱ֝-לֹהַ֗י לְעוֹלָ֥ם אוֹדֶֽךָּ
« Je t’exalterai, Seigneur, car tu m’as relevé ; tu n’as pas réjoui mes ennemis à mes dépens. Eternel, mon Dieu, je T’ai invoqué, et Tu m’as guéri … Tu m’as permis de vivre, de ne pas descendre au tombeau. Chantez l’Eternel, vous Ses fidèles, rendez grâce à Son Saint Nom ; car Sa colère ne dure qu’un instant, mais Sa bienveillance est pour la vie ; le soir, dominent les pleurs, le matin, c’est l’allégresse… Tu as changé mon deuil en danses joyeuses… De la sorte mon âme Te chantera sans relâche ; Eternel, mon Dieu, à tout jamais je Te célébrerai. »
Pourquoi avoir choisir un psaume qui, mis à part ses premiers mots, ne se réfère en aucune façon au faste de cet événement ? Il est indiqué par ailleurs que cette inauguration est faite par le roi David, alors que son fils Shlomo en fut le responsable.
Afin de surmonter cette complexité, il nous faut saisir le sens premier du mot “hanoukka“.
En recherchant la première évocation sémantique de “‘Hanouka”, nous rencontrons “”Hanoch”, fils de Caïn, ainsi qu’une ville, la première, construite en son nom. ‘Hanoch (qui n’est pas sans rappeler le mot “‘hinouch”, l’éducation) est donc lié à la construction comme cela est sous-entendu dans notre psaume (ibid.) qui concerne à juste titre la construction du Temple. Comment le premier meurtrier de l’Histoire, destiné à être nomade, a-t-il eu le droit de construire la première ville de l’Humanité ?
Quelques générations plus tard, un deuxième homme dénommé “‘‘Hanoch” apparaît (Genèse 5, 21-25), moralement plus respectable, avec l’unique volonté “d’aller selon les desseins de Dieu” mais dont, étrangement, comparée à ses contemporains, la vie terrestre sera de courte durée, de 365 ans seulement ! Pour quelle raison, celui qui semble être l’Idéal de la Création voit-il la durée de sa vie réduite ?
Lorsque nous nous attelons à cette tâche si ardue qu’est l’éducation, nous donnons de nous-mêmes afin de transmettre à l’autre la volonté de réparer les iniquités dans le monde, de faire progresser l’Humanité vers cet Idéal évoqué par la Torah… Afin d’être capable d’éduquer de la manière la plus optimale possible, il est nécessaire, au préalable, d’avoir une grande confiance en l’Avenir qui se traduit par la prise de conscience que nous ne sommes pas ici en vain, que nous n’avons pas d’autre volonté sinon de servir Dieu, de reconnaître que la faculté à réparer le monde est entre nos mains, que cette confiance inaltérable en Dieu, influera positivement sur notre jugement et sur celui de nos contemporains et ainsi mènera le projet divin à cet Idéal du Bien.
À l’inverse, penser que tout me revient de droit, que mon propre frère est une gêne quant à l’acquisition égoïste des bienfaits de ce monde, et que par conséquent, honorer la juste rétribution du Créateur, se souciant de chacun avec équité serait intolérable. Cela est exactement la conception du monde défendue par Caïn. C’est aussi pour cette raison qu’il assassine son frère. Son châtiment est d’errer sur Terre, puisqu’il récuse la Suprématie de Dieu, puisqu’il ne supporte pas l’idée de ne pas être l’exclusif propriétaire de ce monde ; la sédentarisation lui sera refusée. Caïn pensait réussir à s’opposer à la volonté de Dieu en construisant une ville et animé par l’orgueil, il la nomma du nom de son fils, Hanoch.
Le second “Hanoch” aspire à un idéal diamétralement opposé à Caïn, car totalement désintéressé ; il ne se préoccupe que de servir l’Idéal divin. Mais se couper du monde et de ses complexités ne peut hélas faire aboutir cette aspiration. Aussi, Dieu le ramène à Ses côtés, il devient un “ange tutélaire” mais ne peut mener le projet divin à son terme.
La troisième fois où nous pouvons rencontrer un terme qui se rapproche de “‘Hanoch” est au moment où Abraham s’apprête à livrer bataille contre l’immoralité, il est accompagné de ses 318 “élèves” (“’hanichav”, Genèse 14, 14).
L’éducateur par excellence est représenté ici : transmettre, faire partager ces valeurs morales sans en attendre une récompense en retour et être prêt même à se battre pour elles s’il le faut.
Nous nous demandions pourquoi le nom du Roi David était invoqué au moment de l’inauguration du Temple, nos maîtres vont évoquer le fait qu’il fut prêt à donner sa vie pour révéler la Sainteté, exprimée par la construction de l’Edifice, ce qui justifie sa présence.
L’occasion nous est offerte de rappeler qu’au moment de l’Inauguration lorsque le Roi Shlomo souhaite transférer les Tables dans l’Arche du Temple, les Portes se ferment et ne s’ouvrent qu’au moment où le Roi invoque le nom de son père, le Roi David !
Cette même volonté du don de soi, est mise en valeur par le nom même de la fête de Hanouka (ainsi que par les illustres combattants, les Maccabim) :
Il nous est demandé expressément de construire ces valeurs pédagogiques qui prônent la mise en place du Bien sans faillir, et avec l’aide de Dieu nous réussirons si nous persistons à être les élèves d’Abraham et ainsi nous pourrons inaugurer notre Temple très bientôt !
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