Eloul, le dernier mois de l’année nous plonge dans un rêve et nous rapproche de l’espoir et de l’attente que “l’année se termine avec ses malédictions, qu’une nouvelle année commence avec ses bénédictions”, et malgré toute l’appréhension qui se dresse au seuil des “Jours dits redoutables” – les jours du jugement, nous nous remplissons de joie à l’approche de la nouvelle année.
Au cours de ce mois , nous nous imaginons à quoi ressemblera la nouvelle année : que souhaierions nous abandonner au passé, et que désirons nous préserver et développer dans l’année à venir ! Cependant, plus les jours se rapprochent de Rosh Hashana, plus l’examen de conscience privé et collectif révèle chez nous des points nécessitant une nette amélioration, notre inquietude chez certains, notre tristesse chez d’autres s’en veut raffermit. Aussi, nous aspirons à effacer le passé afin d’ouvrir une nouvelle page au lieu de continuer la vie dans son cours parsemé de défis.

Rien de nouveau sous le Soleil ?
La réalité nous frappe au visage. La vie est routinière par nature et ne permet pas un véritable renouvellement, de sorte que même Rosh Hashana, symbole du renouvellement, n’est pas vraiment ressenti comme un tournant dramatique, et “ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, et il n’y a rien de nouveau sous le soleil”. On peut aisément s’en rendre compte au regard de l’axe du mouvement autour duquel nous virevoltons – on ne peut pas y trouver a priori de point d’attache ou une quelconque satisfaction “d’être arrive à destination”. Un sentiment de frustration se laisse percevoir en réfléchissant à cette boucle infinie et routinière que nous retrouvons chaque année! Le Projet divin avec toutes ses finesses peut nous apparait utopique sinon inaccessible.
Même une vague divagation fait irruption dans l’esprit de l’homme afin de lui expliquer qu’ouvrir une nouvelle page est une idée vaine car le véritable désir étant la réparation du passé, cette pensée découlera d’un travail difficile et nécessaire si l’on souhaite réellement le réparer, d’autant qu’un désespoir profond s’est infiltré dans la conscience de l’homme.
Par conséquent, on serait tenté de dire que cette grande et belle idée d’ouvrir une nouvelle page, “Tabula rasa” du passé demeurera purement et simplement chimérique . Même si on ne peut douter du désir sincère existant chez tout être vivant, un renouvellement absolu à Rosh Hashana apparait impensable concrètement et est sans doute exclu d’un point de vue pédagogique.
Nous pouvons en outre percevoir un sentiment illusoire d’avoir progressé, éclairé par nos éducateurs qui nous ont inculqué, depuis notre plus jeune âge, qu’un renouvellement s’opérait à Rosh Hashana. La motivation à s’améliorer dépendra principalement de l’opportunité qui nous est offerte, d’un environnement physique, spirituel et temporel fécond. Cependant cela n’aura pas nécessairement de répercussion authentique sur le réel, il est envisageable que cette sensation qui nous anime soit profondément subjective, comme si une simple date dans un calendrier, pouvait radicalement changer la précarité de l’homme, sa routine quotidienne, de telle manière que “soudainement” son cœur et son esprit se remplissaient d’un élan vital renouvelé dans la Sainteté, jusque-là absent !
Non, ce n’est pas un impossible rêve !

Si nous approfondissons l’essence même de la valeur du “repentir”, nous pourrons ainsi nous frayer un chemin qui nous mènera vers un véritable renouvellement :
Dans cette dimension du “retour”, de la “Teshouva”, il est nécessaire de prendre en considération deux paramètres : tout d’abord la reconnaissance de la culpabilité et la prise de responsabilité. La reconnaissance de la culpabilité est une étape préliminaire fondamentale dans ce processus qui nous encouragera à une prise de responsabilité. En cessant d’accuser Autrui de ses propres erreurs et en se concentrant sur “les choses qui ne dépendent que de moi”, s’ouvrira la première porte vers la réparation – “la confiance en la capacité de prendre la responsabilité personnelle de réparer”. Le Rav Kook souligne d’ailleurs la raison essentielle pour laquelle le commandement de la confession (“Vidouii”) existe sinon la possibilité d’assumer ses iniquités afin de s’en affranchir par la suite :
וזהו גם כן תוכן הוידוי המחובר עם מצות התשובה שמודה האדם שאין שום ענין אחד, שיש להאשימו על החטא ותוצאותיו, כי-אם אותו בעצמו. ובזה הוא מברר לעצמו את חופש רצונו ועוצם יכלתו על סדרי חייו ומעשיו, ומתוך כך הוא מפנה לפניו את הדרך לשוב אל ד’, לחדש את חייו בסדר הטוב.
“Tel est bien le contenu de la confession associée au commandement du repentir. Le fauteur reconnait qu’il n’y a lieu de blâmer pour la faute et ses conséquences nul autre que lui-même. Il prend ainsi une conscience plus évidente de la spontanéité de sa volonté et de l’efficience de son pouvoir à régler sa vie et ses actes. De la sorte il se fraie la voie pour un retour à Dieu et pour le renouvellement de sa vie selon l’ordre du Bien (Orot HaTeshouva 16, 2)
Ces deux étapes sont importantes et différentes : celui qui reconnaît sa culpabilité personnelle pour ses actes n’en prend pas nécessairement la responsabilité et par conséquent ne s’engage pas à réparer ses erreurs. Celui qui prend la responsabilité pour certains faits n’est pas obligatoirement coupable des défauts ou des problématiques dont il s’occupe. Aussi, nous pouvons affirmer que la culpabilité personnelle assumée par l’homme ne doit être vécu uniquement comme un moyen a la restauration et à l’amélioration de son authenticité devant Son Créateur et non comme une vision dépressive dans laquelle il peut sombrer. Ce besoin de confession est seulement destiné à ouvrir à l’homme la porte par laquelle il prendra ses responsabilités. Cependant, dès que la reconnaissance complète de ses iniquités, la responsabilité et la confiance dans la capacité de réparation sont intériorisées, il n’y a plus besoin de culpabilité d’aucune sorte.
Aucun ne serait autorisé à accuser celui qui se repent de ses erreurs du passé. En outre, lorsque la réparation est engagée, Ashem dans Son inestimable bienveillance “prend sur Lui” les fautes commises par Sa Créature!

Comme l’indique magistralement le Rav Kook:
כל זמן שלא שב האדם מחטאו, לא סידר לו ארחות תשובתו, הרי הוא מונח תחת הסבל של בחירתו והאשמה של כל מעשיו, וכל תוצאותיהם המרות מוטלות עליו. אמנם אחרי הארת התשובה מיד נמסרים למפרע כל המגרעות שבחייו, וכל המעשים שלגבי ערכו של האדם אינם טובים ותוצאותיו הן מרות לו לרשות גבוה
“Tant que l’homme ne s’est pas repenti, n’a pas défini les voies de sa repentance, il reste soumis à l’asservissement de son propre choix, et sa culpabilité pour tous les actes et leurs conséquences nuisibles pèse sur lui. En revanche, dès que l’illumination du repentir surgit, toutes les déficiences de sa vie, toutes les actions qui a vue humaine ne sont pas bonnes et dont les conséquences lui sont pénibles, sont transférées à un niveau supérieur… (Orot HaTeshouva, ibid.)
Concrétisation de ce Rêve
À Rosh Hashana, l’homme se renouvelle véritablement “comme une nouvelle création”. Le mois d’Eloul est propice à pleinement reconnaitre la culpabilité de ses erreurs commises au cours de l’année écoulée. Cependant au moment de pénétrer dans une nouvelle année, à Rosh Hashana, l’homme s’élève vers une proximité avec Ashem, où il réévalue son rôle de manière authentique. Ce rôle lui apparaitra nouveau car il est lui-même face à une réflexion sur le sens de sa présence souhaitée par le Créateur, au sein de notre Peuple et en notre Génération. Ce “nouveau” rôle l’encouragera à s’assumer et à prendre les responsabilités sur “l’autre homme” qu’il était l’année précédente. Cette responsabilité est tournée vers l’avenir meilleur et non sur la culpabilité du passé. De même qu’un bébé naît dans une famille et dans un environnement particuliers avec des conditions particulières, ainsi à Rosh Hashana l’homme naît de nouveau dans la vie de l’homme qu’il a créé l’année précédente et reçoit le rôle de prendre la responsabilité de tous les défauts et des bonnes choses.

C’est la raison pour laquelle à Rosh Hashana on ne fera pas de “Vidouii” (confession). La confession, destinée à la reconnaissance de la culpabilité sur les erreurs du passé, ne convient pas à Rosh Hashana, célébrant le renouvellement de l’homme en lui associant un réel nouveau rôle dans le monde. En outre, nous n’ignorons pas les traces laissées par les erreurs du passé, c’est pourquoi, il y a lieu de prononcer cette confession le jour de Yom Kippour : en ce jour nous serons capables d’évoquer cette culpabilité personnelle sans qu’elle nous empêche de regarder vers un meilleur futur. S’agissant d’un homme “nouveau”, la culpabilité personnelle, vouée à la connaissance de l’autre homme que nous étions l’année écoulée nous permet de nous assumer plus efficacement.
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