
La question des relations réciproques entre la confiance et la connaissance de Dieu occupe une place centrale dans la pensée juive depuis toujours. cette question prend une importance particulière en raison de l’accent mis par l’enseignement traditionnel sur l’aspect émotionnel-spirituel de notre relation a Dieu et sur la necessité d’une formulation rationnelle et démonstrative. nous vous proposons d’examiner trois approches centrales de cette question telles qu’elles sont exprimées dans les paroles de nos Maitres.
1. L’approche philosophique-rationnelle : le Rambam (Maïmonide)
Le Rambam présente dans les Lois des fondements de la Torah (2, 1) une voie distinctive pour parvenir à l’amour et à la crainte de Dieu. Selon ses enseignements, le chemin vers une confiance authentique et véritable en Dieu passe par la contemplation et la compréhension :

“Comment arrive-t-on à Son amour et à Sa crainte ? Lorsque l’homme contemple Ses œuvres et Ses créatures merveilleuses et grandes, et qu’il voit en elles Sa sagesse qui n’a ni mesure ni fin – immédiatement il aime, loue, glorifie et désire d’un grand désir connaître Ashem”
היאך היא הדרך לאהבתו ויראתו, בשעה שיתבונן האדם במעשיו וברואיו הנפלאים הגדולים, ויראה מהן חכמתו שאין לה ערך ולא קץ – מיד הוא אוהב ומשבח ומפאר ומתאווה תאווה גדולה לידע ה’ הגדול
Le Rav établit ici la contemplation rationnelle comme base de l’expérience spirituelle. La confiance en Ashem n’est pas une affaire d’acceptation aveugle, mais le produit d’une compréhension profonde de la Création et de Sa sagesse. C’est une approche qui accorde à la rationalité une place centrale dans le monde cultuel.
Caractéristiques centrales de cette approche :
- La contemplation comme voie vers Ashem : la compréhension de la Création mène à la connaissance du Créateur
- Union émotion-intellect : la compréhension rationnelle suscite une réaction émotionnelle (“aime et loue”)
- La mise en acte de cette “emouna” comme processus : non pas un événement ponctuel mais un développement continu
2. L’approche historique-expérientielle : Le Kuzari, Rabbi Yehuda HaLevy
Le Kuzari présente une approche différente de la question des fondements de la Confiance en Lui. Selon ses enseignements, la conception hébraïque ne se base pas sur des preuves philosophiques mais sur une expérience historique collective :
La “foi” au commencement était limitée – le peuple croyait “après ces prodiges à tout ce que Moïse leur avait fait connaître”, mais il demeurait encore “un doute dans leur cœur : Dieu parle-t-il vraiment avec des êtres de chair et le sang ?” (1, 87) La solution vint au Don de la Torah, où le peuple entier vécut une révélation directe.
Le moment décisif fut lorsque “le peuple entendit la parole divine exprimée dans les dix Paroles… Ces dix Paroles, l’ensemble du peuple les reçurent et non pas d‘individus isolés ni d’un prophète unique, mais de la “bouche” d’Ashem”.
L’élément distinctif concernant notre confiance et notre connaissance de Dieu se basera donc sur:
- une Expérience collective : non pas une révélation à un individu mais à un peuple entier
- Vision et audition directes : “aux yeux de tout le peuple qui vit”
- Abolition du doute : “et depuis ce jour-là le peuple crut”
3. L’argument traditionnel : l’antithèse de la falsification et de la duperie

Le Kuzari (1, 48) développe un argument solide contre la possibilité que la tradition juive soit basée sur le mensonge ou la falsification :
“Une telle chose ne peut être acceptée même par dix hommes sans qu’ils se troublent et révèlent le secret de leur conspiration… à plus forte raison ne peut-elle être acceptée par de nombreuses multitudes, surtout que votre récit est encore proche des événements”
“אמר הכוזרי: פרוט כזה מרחיק מן הלב את הספק הרע פן יש בזה כזב או קנוניה דבר אשר כזה לא יתכן כי יסכימו עליו אפלו עשרה אנשים בלא שיתבלבלו ויגלו בזה סוד קנוניתם בדרך כלל דוחים אנשים דברי מי שמביא לפניהם ראשונה מנין זה ומבקש מהם להודות בו על אחת כמה וכמה לא יתכן כי יסכימו עליו המונים רבים ביחוד שהמנין שלכם עודנו קרוב למארעות ואין הכזב והבדות יכולים לחול בו”
Le Rav Saadia Gaon renforce cet argument par l’exemple de la “Manne” (Emounot VeDeot, intro. 26) :
“Il ne peut être imaginé aucune ruse par laquelle un peuple d’environ deux millions d’hommes puisse subsister pendant quarante ans sans rien, si ce n’est par une nourriture nouvelle que le Créateur leur créa dans l’air”
L’exégèse traditionnel se fonde sur plusieurs principes :
a. La difficulté logistique de la falsification
- Il est difficile d’organiser une conspiration parmi des dizaines de milliers de personnes
- Plus le groupe est grand, plus la probabilité de révélation de la falsification augmente
b. La proximité temporelle
- La tradition fut transmise alors que vivaient encore les participants aux événements
- Il est difficile de falsifier des événements qui se sont produits dans la mémoire récente

c. L’argument intergénérationnel
Le Rav Saadia Gaon présente un exemple éloquent : “Lorsque leurs enfants diraient : nous étions dans le désert quarante ans mangeant la manne, et s’il n’y avait pas de fondement à cela, leurs enfants leur auraient dit : vous mentez, toi untel, n’est-ce pas là ton champ, et toi untel, n’est-ce pas là ta vigne dont vous n’avez cessé de subsister”
Conclusion
Les trois approches, présentées par nos Maitres, représentent différentes manières d’aborder cette cruciale interrogation dans la tradition juive mais en réalité elles se complètent :
Le Rambam souligne l’importance de la compréhension rationnelle comme fondement de la Re-Connaissance de Dieu. Sans cette compréhension celle-ci serait déficiente.
Rabbi Yehuda HaLevy, quant à lui, établit l’expérience historique comme fondement de cette confiance en Lui . Elle ne se fondera donc pas sur la logique philosophique mais sur une rencontre authentique avec Ashem.
L’argument traditionnel (le Kuzari et le Rav Saadia Gaon) ajoute une dimension de critique historique – la démonstration que la tradition ne peut être falsifiée d’un point de vue logistique.
Ensemble, ces trois approches mettent en relief un système multidimensionnel pour consolider cette connaissance d’Ashem : le rationnel, l’expérientiel et l’historico-critique. Chacune d’elles occupe une place importante dans l’ensemble des arguments en faveur de la fiabilité de la tradition juive et de la vérité du projet divin.
Ces approches continuent d’être pertinentes aujourd’hui encore, alors que la question des rapports “foi-connaissance” demeure centrale dans le monde religieux moderne. Chacune d’elles propose des outils différents pour faire face aux défis de notre époque, de la critique historique et de la recherche scientifique.
[1] Appelée communément et maladroitement “la foi”
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